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les nouvelles de Jacques Martel

les nouvelles de Jacques Martel

En toute humilité, je travaille ma pierre brute et j'écris pour mon plaisir, peut être le vôtre, pour polir la pierre qui est en moi sans autre ambition


IMMUABLEMENT une nouvelle de Jacques Martel

Publié par Honneur et Patrie sur 6 Avril 2019, 19:18pm

Catégories : #jacques Martel, #nouvelle

IMMUABLEMENT une nouvelle de Jacques Martel

Tous les jours, c’était le même rituel, un rituel immuable. Il se levait à 5H30, descendait les escaliers et caressait le chien qui vu son âge ne daignait plus se lever mais remuait la queue ; puis il allait dans la cuisine, mettait à réchauffer dans le micro-onde la nourriture que lui avait préparée sa femme la veille,  mettait de l’eau à chauffer dans la bouilloire, passait dans la salle à manger et donnait leurs croquettes aux tortues ; enfin il ouvrait la porte au chien, allait aux toilettes, faisait sa toilette, repassait en cuisine, mettait pitance, thé, gâteaux pour la journée dans la glacière, s’habillait, mettait ses affaires dans la voiture, rentrait le chien, lui donnait un biscuit et fermait la porte. Total : 30 mn. Si un seul élément n’était pas à sa place, ce qui était rare car il était perfectionniste, ancien militaire - non pas maniaque mais chaque élément avait sa place et chaque place son élément - si un seul venait à ne pas être, cela mettait le bordel dans son organisation et le mettait en retard.

 

Ce jour-là, c’était les clefs de la maison. Elles devaient être sur la planche, derrière la porte d’entrée, comme toutes les clefs. C’était leur place. Ce devait un coup de sa douce qui avait dû en avoir besoin et ne les aurait pas remises à leur place. Il ne pouvait en être autrement. Bien sûr, arrivé sur le chantier, il s’était fait pourrir par « Pinochet », c’était le surnom du chef de chantier.

 

Dans la matinée, il avait eu la surprise de voir quelque chose de brillant dans son godet, pas son verre à boire, mais celui de sa pelleteuse. C’était visiblement une vieille glacière en métal. Une glacière comme celle qu’il se préparait tous les matins sauf que celle-ci datait de Mathusalem ; elle était en métal, tandis que la sienne était en plastique pur de chez un grossiste du sport.

 

Il aurait bien aimé s’acheter une vraie glacière comme avait Pinochet, mais ayant fait peu d’études, engagé tôt chez les paras, qu’il avait quitté hélas pour un amour qui l’avait quitté dans la foulée, il faisait des boulot de merde payés à grands coups de lance-pierres. Il était de ces hommes que l’on croise tous les jours mais qu’on ne voit pas parce qu’invisible. Il était persuadé qu’il valait mieux que cela. D’aucuns le disaient riche de sa personne, mais cela ne mettait pas du caviar dans sa glacière, que des pâtes.

 

Il mangeait seul souvent, la plupart du temps, prenant le temps d’ouvrir un livre. Il n’était pas un ours, quoiqu’on le qualifiait souvent ainsi, mais il aimait s’isoler dans des mondes d’aventures, de science-fiction, il adorait Star Wars, quoique paradoxalement, le soir, après une journée de labeur, il lisait des essais. Ouvrant son thermos, après avoir préalablement étendu le torchon sur ses jambes - c’était immuable ça aussi, comme l’était le fait que de la flotte tombe du bouchon du thermos sur ses cuisse - le fumet des pâtes lui chatouillait les narines. Il avait de l’odorat maintenant. Un accident jeune lui avait enlevé ce sens et, l’âge passant, il s’était mis non pas à ronfler mais à rêver tout haut de Harley Davidson. Sa douce lui avait quasiment ordonné l’opération sinon avait-elle laissé sous-entendre « c’était lit à part ». Il aimait par-dessus tout, tous les soirs, venir à côté de son corps nu. Sa poitrine immense le faisait toujours autant saliver malgré les années. Il se mettait alors, après avoir lu, sur le côté gauche et posait sa main sur son sein. C’était immuable et parfois, en dormant, elle lui disait «  tu es froid », il lui répondait « non je suis chaud » ; souvent elle se retournait et commençait la lambada et la socca, d’autres fois, elle disait « demain ». Ne voulant surtout pas donc se passer de ce plaisir, il s’était fait opérer. Il se demandait souvent pourquoi elle l’avait choisie. Elle était sa muse, son phare, sa boussole. Elle était beaucoup plus instruite que lui, belle et bien faite. Elle aurait pu faire tourner les yeux de tous les hommes de la haute, et pourtant non seulement elle l’avait choisi, mais en plus, et malgré tout, elle était restée.

 

Perdu dans ses pensées, dubitatif, menant la cuillère à la bouche, son regard fut attiré une nouvelle fois par la glacière. Il ne l’avait pas ouverte. Par définition, il glacière sert à conserver des aliments, de boissons ; ce devait donc être tout pourri « là d’ans » comme disent les Picards dont sa douce est originaire, donc il ne l’avait pas ouverte.

 

Les cuillérées allaient et venaient du thermos à sa bouche et il ne parvenait pas à se concentrer sur le dernier Star Wars. Les rires gras de ses collègues fusaient entre un coca, deux pizzas et trois clopes. Il ne fallait pas qu’ils s’étonnent d’être gras comme des cochons, mangeant de la merde, fumant et ne faisant pas de sport. Il les imaginait parfois nus avec un micro pénis caché sous le gras de leur ventripotence, beurk…

 

Son regard n’avait de cesse que retourner à la glacière. Dans son esprit, dans son imaginaire, de glacière elle devint coffre-fort puis coffre. Il se voyait l’ouvrir et y découvrir pléthore de bijoux, d’or, de diamants et de lingots. Le découvreur étant légalement l’acquéreur, son esprit s’envolait. Il en donnerait d’abord une partie à ses deux filles, à sa sœur qui avait eu bien du mal dans sa vie et qu’il aimait, même si pour une raison qu’elle-même devait avoir oubliée maintenant elle le battait plus ou moins froid. Sa maman bien sûr pour améliorer sa retraite. Ça ne ferait pas revenir papa mais cela lui mettrait un peu de baume au cœur. Un peu pour des associations, des œuvres qui lui tenaient à cœur. Il se voyait mieux habillé qu’aujourd’hui et vu par les autres - dans un but purement intéressé ? L’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue dit-on.

 

Il voyait sa maison. Il n’avait jamais pris le temps d’y travailler. Mais il voyait des ouvriers y travailler. Il leur donnait conseils et indications, se fâchait, faisait changer du tout au tout après un résultat qui ne lui plaisait pas. Il pouvait se le permettre, il avait les moyens. Il aurait pu simplement changer de maison, acheter plus grand, plus neuf, il avait maintenant les moyens grâce à la glacière ; mais non, il avait préféré faire refaire sa maison. Il l’aimait. C’était sa maison. Il n’avait pas refait le papier de sa chambre alors que celui-ci datait des années 60 ou 70 du siècle dernier parce que les dessins d’enfant de ses filles y étaient et qu’il se refusait à ne plus les voir. Les oiseaux avaient quitté le nid, et fréquemment il ouvrait la porte de leur chambre. Leurs chamailleries lui manquaient. Entendre sa douce appeler « mes amours ». Il répondait « oui » mais il savait que c’était en direction de leurs diamants. La grande descendait en faisant sa princesse, et la petite le houspillait en lui disant « rhoooooooooooo papa ». Ça aussi, c’était immuable, mais les règles, les traditions avaient du bon. Sa douce et lui souffraient, parait-il - il avait entendu ça sur France Inter - du syndrome du nid vide. Et tout l’argent du monde ne pourrait racheter cela.

 

Il aurait bien changé sa vieille guimbarde. Avec l’argent trouvé dans la glacière il se serait acheté une Ford Mondéo toute neuve, une Vignale en 210 chevaux, en automatique et en break pour y mettre son vieux chien. Il se serait acheté aussi une Ford Taunus, une voiture de collection, comme son papa avait dans le temps. Il en avait bouffé des kilomètres dans la Taunus, notamment quand ils descendaient tous les étés en vacances au camping en Espagne. Nostalgie de son enfance… Et puis il aurait acheté à sa douce, à ses filles, une Ford Escort, comme maman avait eu.

 

Il en aurait fait des choses s’il avait trouvé des bijoux, de l’or, des diamants et des lingots dans la glacière. Immuablement, il en était arrivé au yaourt en chocolat sans s’en apercevoir.  La pause allait bientôt finir et immuablement, 5 minutes  avant la fin de l’heure légale de pause, Pinochet allait leur casser les cojones pour qu’ils se remettent au boulot. S’il avait eu des bijoux, de l’or, des diamants et des lingots dans la glacière, il aurait racheté le chantier et il aurait viré ce con vaniteux en mal d’autorité.

 

Mais il fallait bien revenir à une réalité. De bijoux, d’or, de diamants et de lingot, il n’en avait point. De bijoux, d’or, de diamants et de lingot, il n’y en avait pas dans la glacière. Il lui fallait revenir à la réalité et remonter sur sa pelleteuse. De travaux à la maison, il n’y en aurait pas. De nouvelles fringues pour sa femme, il n’y en aurait pas. De dons à ses filles, sa maman, sa famille, aux associations, aux œuvres, il n’y en aurait pas. De nouvelle voiture, il n’y en aurait pas. De voiture de collection, il n’y en aurait pas. Maintenant qu’il y pensait, des voyages, il n’y en aurait pas plus.

 

Il se décidait à ouvrir la glacière. La bête lui résistait. Il sortait alors un couteau avec des skulls, que lui avait offert sa fille. La pourriture de la nourriture avait dû coller les bords quand le couvercle de métal cédait.

 

Dans un mélimélo s’entassaient des bijoux d’or, des diamants et des lingots.

 

Fin alternative 1 :

 

Mais il fallait bien revenir à une réalité. De bijoux, d’or, de diamants et de lingot, il n’en avait point. De bijoux d’or, de diamants et de lingot, il n’y en avait pas dans la glacière. Il lui fallait revenir à la réalité et remonter sur sa pelleteuse. De travaux à la maison, il n’y aurait pas. De nouvelles fringues pour sa femme, il n’y en aurait pas. De dons à ses filles, sa maman, sa famille, aux associations, aux œuvres, il n’y en aurait pas. De nouvelle voiture, il n’y en aurait pas. De voiture de collection, il n’y en aurait pas. Maintenant qu’il y pensait, des voyages, il n’y en aurait pas plus.

 

Il se décidait à ouvrir la glacière. La bête lui résistait. Il sortait alors un couteau avec des skulls que lui avait offert sa fille. La pourriture de la nourriture avait dû coller les bords, quand le couvercle de métal cédait.

 

Avant un bruit de succion, le couvercle s’ouvrait. Devant lui, des bijoux d’or, des diamants et des lingots. Tout à sa joie et sa surprise, il n’entendait pas Pinochet arriver derrière lui.

 

1 mois plus tard, une brève dans le journal précisait que d’après le chef de chantier, Jacques Martel n’avait pas été victime d’un burn-out mais plus probablement d’un AVC fulgurant.

 

 

Fin alternative 2 :

 

Mais il fallait bien revenir à une réalité. De bijoux d’or, de diamants et de lingot, il n’en avait point. De bijoux, d’or, de diamants et de lingot, il n’y en avait pas dans la glacière. Il lui fallait revenir à la réalité et remonter sur sa pelleteuse. De travaux à la maison, il n’y aurait pas. De nouvelles fringues pour sa femme, il n’y en aurait pas. De dons à ses filles, sa maman, sa famille, aux associations, aux œuvres, il n’y en aurait pas. De nouvelle voiture, il n’y en aurait pas. De voiture de collection, il n’y en aurait pas. Maintenant qu’il y pensait, des voyages, il n’y en aurait pas plus.

 

Pinochet n’avait pas manqué de les remettre au boulot plus tôt. Le maudissant tous, ils s’étaient exécutés. Tandis qu’il maniait avec dextérité son godet, un attroupement se fit vers sa gauche. Les 6 ouvriers du chantier criaient comme des fous et Pinochet étaient parmi eux. Il crut tout d’abord à une rixe mais c’était des cris de joie. Au milieu d’eux, il vit la glacière, la glacière qu’il avait trouvait, SA glacière et qu’il avait laissé sur place. Dans leurs mains brillaient des bijoux d’or, des diamants et des lingots.

 

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